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23|10|13 Acquisition de biens pour un prix inférieur à leur valeur réelle

Acquisition de biens pour un prix inférieur à leur valeur réelle

Il arrive qu’une société conclue un contrat d’emphytéose, laissant ainsi un tiers construire sur un terrain qui lui appartient. Lorsque ce contrat arrive à son terme, la société se retrouve propriétaire des constructions, et ce sans devoir réaliser le moindre paiement. Cette situation pose la question de la comptabilisation de l’immeuble ainsi acquis. Il en est de même lorsqu’une société acquiert un bien pour un prix nettement inférieur à sa valeur vénale.

En règle, les actifs sont comptabilisés à leur prix de revient. Ce qui devrait conduire à la comptabilisation de l’immeuble, dans notre exemple, pour un montant de 0,00 €.

Néanmoins, l’administration a tendance, par le biais d’un avis de rectification, à objecter que cette manière de comptabiliser les actifs acquis à titre gratuit ou pour une valeur nettement inférieure à leur valeur vénale n’est pas conforme au principe d’image fidèle. Elle fondait sa position sur l’article 3 de l’arrêté royal du 8 octobre 1976 qui dispose que « les comptes annuels doivent donner une image fidèle du patrimoine, de la situation financière ainsi que du résultat de l’entreprise », ce qui conduit, à pouvoir, dans le cas exceptionnel où l’application des règles d’évaluation ne conduiraient pas à donner une image fidèle de l’entreprise, à y déroger.

Cette position était d’ailleurs partagée par la commission des normes comptables qui s’était exprimée à ce sujet par son avis n°126/17.

Selon l’administration cette disposition permet d’écarter le prix de revient de l’actif et de le remplacer par la valeur vénale dudit bien. Ce faisant, l’administration dégageait et imposait un bénéfice important soit la différence entre le prix réellement payé et la valeur vénale du bien acquis.

Cette manière de faire a été appliquée notamment à la société GIMLE, cette dernière avait eu l’opportunité d’acquérir des actions à un prix largement inférieur à leur valeur de marché. Elle avait opéré une comptabilisation à leur prix de revient avant de les revendre pour un montant 3.400 fois supérieur. L’administration lui avait dès lors adressé un avis de rectification dans lequel, sur base de l’arrêté royal susvisé, elle entendait imposer la différence entre le prix d’achat et celui de vente, en arguant que : « la plus-value réalisée à l’occasion de la vente de ces actions était imposable à titre d’augmentation de la valeur de l’actif intervenue à la suite d’une plus-value réalisée à l’occasion de l’achat des actions, c’est-à-dire à la suite de la sortie de l’actif monétaire remplacé par les actions dont la valeur réelle est plus élevée que le prix payé ».

La société a évidemment introduit une réclamation à l’encontre de cette position administrative. Elle a ensuite poursuivi le dégrèvement de cette rectification devant les cours et tribunaux.

Malgré une décision favorable des juridictions bruxelloises, l’administration a décidé de se pourvoir en Cassation, invoquant notamment à l’appui de son pourvoi, la fonction dérogatoire du principe d’image fidèle exposée supra. L’Etat belge considérait que l’acquisition d’un actif à un prix nettement inférieur à sa valeur vénale constituait un « cas exceptionnel » permettant d’avoir recours à cette fonction dérogatoire. La question qui se posait était donc de savoir dans quelle mesure ce type de situation pouvait être assimilé à un cas exceptionnel, notion au demeurant non expressément définie.

Or, ce principe résulte de la transposition de la quatrième directive européenne 78/660/CEE du 25 juillet 1978 relative aux comptes annuels de certaines formes de sociétés.

Cet état de fait a conduit la cour de Cassation à poser, le 1er juin 2012, la question préjudicielle suivante à la Cour de justice :

«L’article 2, paragraphes [3 à 5], de la quatrième directive […] doit-il être interprété en ce sens qu’il ne prévoit pas seulement la mention d’informations complémentaires dans l’annexe aux comptes annuels, mais impose, lorsque le prix d’acquisition ne correspond manifestement pas à la valeur réelle des biens concernés, donnant par là une image faussée du patrimoine, de la situation financière ainsi que du résultat de l’entreprise, de déroger au principe de la comptabilisation d’actifs au prix d’acquisition et de les comptabiliser immédiatement à leur valeur de revente si celle-ci apparaît comme leur valeur réelle?».

Les contribuables ayant été rectifiés par l’administration sur base de la thèse qu’elle défend seront contents d’apprendre que ce 3 octobre 2013, la Cour de justice a répondu que le principe d’image fidèle « ne permet pas de déroger au principe de l’évaluation des actifs sur la base de leur prix d’acquisition ou de leur coût de revient, figurant à l’article 32 de ladite directive, au profit d’une évaluation sur la base de leur valeur réelle, lorsque le prix d’acquisition ou le coût de revient desdits actifs est manifestement inférieur à leur valeur réelle ».

Cette décision devrait conduire la cour de Cassation à rendre rapidement un arrêt rejetant le pourvoi de l’administration et enterrant de ce fait définitivement ce genre de rectification. N’oublions pas néanmoins que les arrêts de la Cour de justice ont pour effet d’ouvrir un nouveau délai de réclamation pour ceux qui auraient eu à subir la thèse comptable administrative.

Julien Motllo